Ce numéro de Rursus réunit des études sur une forme littéraire mal définie, souvent mal aimée des scholars et qui constitue pourtant une production culturelle considérable : l’épitomé, en se ...limitant, dans ce vaste ensemble de textes-relais, aux épitomés scientifiques et historiques. Plutôt que d’un genre défini l’épitomé est avant tout un « format réduit » qui est à la fois un moyen et un moyen stratégique de prolonger la transmission d’une œuvre de taille importante, voire encombrante, dans un contexte culturel de concurrence inlassable qui ne permet pas la reconduction intégrale, à chaque génération de copie, à chaque mutation de code graphique, de perpétuer l’ensemble du patrimoine, en raison de « l’immensité des ces écrits dont on se fatigue rien que d’y penser et qui paraît généralement fastidieuse et pesante » (Constantin VII, Excerpta historica, prologue). Lire la suite
Née dans un cadre scolaire, conçue à l’origine comme un instrument de formation et d’instruction de la jeunesse, la déclamation, qui n’était d’abord qu’un moyen, suscita un tel engouement qu'elle ...devint aussi très vite une fin en soi : si l’on déclamait au départ pour apprendre à parler, on déclamera bientôt pour le plaisir de déclamer ; le genre oscille donc entre instruction et distraction des élites. Par les jeux intertextuels et génériques qu'elle instaure avec d’autres productions littéraires, par les liens qu'elle tisse avec son contexte juridique, politique et social, la déclamation a été un élément essentiel de la vie culturelle antique, fonctionnant parfois comme une sorte de laboratoire des idées et des formes. Les textes ici réunis prennent en compte la déclamation antique, aussi bien grecque que latine, de Sénèque le Père jusqu’aux déclamateurs de la Troisième Sophistique, et au-delà, dans une perspective croisée permettant de mieux comprendre comment la déclamation a pu être – et rester – pendant près de deux millénaires la norme de toute culture supérieure, concourant à la transmission des valeurs, esthétiques, éthiques, juridiques, politiques, et à la fabrique des élites.
Un archétype au service des idées républicaines Dans sa dissertation académique consacrée à la figure de Lucius Junius Brutus, au début du xviiie siècle, Christoph Ludwig Crell, un juriste érudit ...habitué à travailler sur l’histoire et le droit des Romains, n’hésitait pas à caractériser ce personnage comme le fondateur de la république romaine : rei publicae Romanae auctor. Revalorisant des témoignages antiques, et avant tout les récits de Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, sur le rôle de prem...
Les Variae sont composées entre 507 et 537 par Cassiodore, qui fut successivement durant ces trente années questeur du Palais, maître des Offices et enfin préfet du Prétoire dans la chancellerie ...ostrogothe au service de Théodoric et ensuite d’Amalasonthe, de son petit-fils Athalaric, de Théodat et Vitigès. Cette œuvre nous permet de mieux comprendre l’efficacité pratique et la valeur publique que le genre épistolaire avait acquises dans l’Antiquité tardive. À ce propos, le rédacteur fit référ...
La lettre, lieu d’échange et de dialogue, traditionnellement définie depuis Cicéron comme une « conversation entre amis séparés », peut également offrir un espace privilégié à l’expression des ...antagonismes - malentendus, différends, âpres controverses. Croiser la notion d’épistolaire avec celle de conflit et de polémique amène alors à repenser avec une acuité particulière la signification de la lettre. Un premier aspect important concerne l’attitude de l’épistolier, son degré d’implication et l’image de soi qu’il cherche à construire (ethos) : si en cas d’affrontement direct la violence verbale est généralement évitée, quand le destinataire est seulement pris à témoin la lettre donne volontiers cours au langage des passions (indignation, moqueries), aux procédés de dévalorisation de l’adversaire ou tout au moins à l’ironie. Mais c’est aussi la fonction et la portée de la lettre qui est en jeu, qu’il s’agisse de clarifier sa pensée devant l’autre, de diffuser un débat, d’exacerber les tensions ou au contraire d’œuvrer à l’apaisement. Telles sont les questions examinées à travers les trente contributions de ce volume, qui traitent de conflits personnels entre correspondants, de luttes politiques, de controverses religieuses et théologiques, de confrontations d’idées (philosophie et rhétorique), d’affrontements autour de la médecine, et enfin de rivalités entre érudits et de polémiques littéraires.
La lettre, discours adressé à une personne ou à un ensemble de personnes, est souvent le lieu de suggestions, d'avertissements ou d'exhortations, quand l'épistolier écrit pour influer sur la pensée ...et le comportement de son correspondant, ou même assume le rôle de directeur de conscience. Cette fonction de l'écriture épistolaire - conseiller, diriger, prescrire - invite à examiner plus précisément la relation au destinataire, la figure d'autorité que construit la lettre pour inspirer confiance, les moyens déployés pour convaincre, l'adaptation à telle circonstance particulière, l'articulation entre perspective théorique et cas pratique. La lettre de conseil déborde d'autant mieux le cadre argumentatif de la délibération qu'elle sert parfois à conforter une opinion acquise (parénèse), recourt aux maximes et préceptes, aux exemples qui stimulent l'imitation, aux métaphores qui visent la sensibilité, avec une plasticité irréductible aux schémas rhétoriques. Tels sont les aspects étudiés à travers ces trente et une contributions qui, de l'Antiquité gréco-romaine au xxe siècle, explorent la signification et les enjeux du conseil par voie épistolaire, qu'il s'agisse d'avis politiques, de direction philosophique et spirituelle, d'éducation religieuse, de directives de spécialistes (philologie, médecine) ou de conseils personnels.
Parmi les protagonistes de l’histoire romaine les plus intéressants en ce qui concerne les mécanismes d’élaboration du souvenir, on peut signaler L. Licinius Lucullus. Quoiqu’exemplaire pour ses ...succès militaires et apprécié pour sa libéralité à l’égard des habitants des provinces sujettes des Romains, lesquels pour cela lui dédièrent des inscriptions (i.e. monumenta) célébrant sa mémoire, il fut aussi la proie d’excès et d’extravagances sur lesquelles une partie de la tradition littéraire a insisté, en proposant une image en clair-obscur de plus en plus affirmée. L’évaluation de sa conduite apparaît contradictoire avant tout chez Cicéron, enclin à le dénigrer (dans certaines harangues) pour sa rapacité et plus tard à faire l’éloge de ses exploits militaires pour des raisons d’opportunisme et de convenance personnelle, lui réservant, dans ses traités éthico-politiques composés après sa mort, une censure morale qui influencera les sources postérieures. Outre des oscillations dues aux conflits politiques internes à la Rome tardo-républicaine, la renommée de Lucullus, apprécié aussi par Auguste (ILS, 60), connut des phases alternées, qui montrent la tendance à le juger par rapport à Pompée (chez Velléius Paterculus) et plus généralement la tentative de concilier son image de chef valeureux avec celle de membre contestable de l’ordre sénatorial. Néanmoins, la nature « bipolaire » du personnage apparaît très clairement déjà dans la biographie que lui dédie Plutarque, où se perçoivent les multiples données contradictoires existantes sur la vie publique et privée de Lucullus, évaluée de manière différente par des historiens et érudits à l’époque impériale et durant l’Antiquité tardive. En général, outre l’affirmation que les premiers responsables de l’image en clair-obscur de Lucullus furent ses contemporains et rivaux dans l’arène politique, l’examen de certains témoignages sur lui offre la possibilité d’étudier les différents facteurs historiques, sociaux et culturels qui interagirent et contribuèrent à faire survivre la mémoire de celui qui ne fut pas seulement un citoyen à la conduite discutable.