Il peut sembler un peu étrange d’examiner la présentation de la défaite d’Aigos-Potamoi dans un éloge inconditionnel de l’excellence d’Athènes comme l’est le Panathénaïque d’Aelius Aristide. ...Toutefois, le récit qui entoure cet événement (§ 252-263) en dit long. Grâce à deux subterfuges rhétoriques successifs (glissement vers l’épisode des Trente et comparaison avec la victoire de Marathon), la bataille d’Aigos-Potamoi est escamotée comme défaite et transformée en victoire. Par ailleurs, cette défaite est à la fois anticipée et prolongée dans le discours. En amont, elle explique une particularité de la structure de l’éloge (le choix d’un angle de vue comparatif, qui interrompt soudain la narration) ; en aval, la défaite et la capitulation d’Athènes deviennent un événement de référence, chargé de fixer le comportement modèle à la fois dans la défaite et, paradoxalement, dans la victoire. Il convient de replacer le traitement de cet événement dans le contexte politique romain. À travers les grands combats livrés par Athènes, Aristide offre une réflexion sur les conflits, les alliances et les trêves et dans cette perspective, le «malheur » d’Athènes à Aigos-Potamoi inaugure une politique de clementia. Il signifie aussi que victoires et défaites désormais ne s’opposent plus nécessairement.
It may seem somewhat odd to study the way by which the defeat of Aigos-Potamoi is described in a discourse which is an utter praise of the excellence of Athens as is the Panathenaic Oration of Aelius Aristides. Nevertheless, the account of this event (§ 252-263) is significant. Thanks to two successive rhetorical stratagems (move to the Thirty episode and comparison with Marathon), the battle of Aigos-Potamoi is concealed as a defeat and changed into victory. Besides, this defeat is both anticipated and extended through the oration. Upstream, it makes clear a special feature in the discourse’s organisation (the reason why Aristides chooses a comparative point of view, which suddenly breaks the narrative) ; downstream, Athens’ defeat and surrender becomes a reference event, which shows the perfect behaviour both in failure and – more paradoxically – in success. We must also take into account the Roman political context. Through the main battles fighted by Athens, Aristides also considers more generally the meaning of conflicts, leagues and truces and, in this way, with Athens’ main misfortune begins what looks like a policy of clementia. Finally, Aigos-Potamoi also means that now victories and defeats are not necessarily antithetical events.
Ces Éclats de littérature grecque explorent plusieurs facettes des différents genres littéraires de la Grèce ancienne, d’Homère et de ses commentateurs aux textes de la seconde sophistique, mais ce ...sont aussi les modernes qui, de La Fontaine à Pascal Quignard, font scintiller leur lecture de l’Antiquité. Par ces études, les anciens étudiants, français et américains, de Suzanne Saïd ont voulu rendre hommage à cette helléniste de renommée internationale en lui offrant quelques pages de leurs recherches qu’elle a su, avec tant d’énergie et de générosité, initier, stimuler et orienter. Professeur en France et aux États-Unis, Suzanne Saïd n’a cessé d’ouvrir de nouveaux chemins dans le paysage littéraire de la Grèce ancienne et de contribuer en profondeur au renouvellement des études classiques. Les articles réunis ici sont à l’image du parcours littéraire et philologique qui l’a conduite de la poésie homérique et des mythes grecs à la tragédie et à la comédie attiques, à la philosophie et la rhétorique, jusqu’à la réception hellénistique et impériale de cette culture classique, et ses résonances modernes. Ce volume contient une bibliographie récente des travaux de Suzanne Saïd.
La prose n’a pas été, en Grèce ancienne, une forme vide ou transparente. Étroitement associée à la parole politique et au discours scientifique (philosophie, histoire, enquête sur la nature) dont, ...vers la fin de l’époque archaïque, elle a accompagné l’émergence, elle en a gardé un ensemble de connotations et une vocation propres. Cette personnalité est si marquée qu’on peut, comme l’a fait L. Alma-Tadema dans le tableau reproduit sur la couverture de ce livre, dresser l’allégorie du langage en prose : masculin, studieux, adulte, aussi tendu vers le réel que la « Poésie », son double inversé (ci-contre), s’abandonne, sous les traits d’une femme, à de vagues rêveries. Plus qu’un portrait authentique, il s’agit d’une pose ou d’une posture ; la prose antique a su « rêver » elle aussi. Vers le début de notre ère en particulier, dans le paysage littéraire du monde gréco-romain, les formes de prose ont occupé une position dominante, et investi toutes les fonctions jadis réservées à la poésie : divertir, séduire, inventer des mondes imaginaires. Pourtant, les prosateurs n’ont cessé d’affirmer l’identité de la prose et d’exiger d’elle, alors même que la poésie devenait son modèle secret, qu’elle reste fidèle, d’une manière ou d’une autre, à son programme originel. Héritiers de cette histoire complexe, théoriciens, orateurs, romanciers, auteurs de satires, de dialogues ou de « prosimètres » ont médité sur la nature de la prose ; ils ont mis au jour ses contradictions, défini ses modèles, formulé ses normes et ses recettes. Leurs réflexions et leurs pratiques font l’objet des neuf études réunies dans ce volume.
Pour entrer au Panhellénion, créé par Hadrien à Athènes en 131 ou 132, différentes cités de l’Orient grec n’hésitent pas à s’inventer un passé grec et des liens avec les cités prestigieuses de ...l’ancienne Grèce. Nous avons, dès lors, choisi de regarder comment les textes grecs contemporains envisageaient les origines et l’ancienneté d’Athènes elle-même. Quel type d’ ἀρχή peut-on avoir quand on est soi-même principe de civilisation ? Notre article est centré sur le Panathénaïque d’Aelius Aristide : en apparence, l’orateur fonde l’éloge de la ville contemporaine sur l’épaisseur de son histoire et, jouant ainsi du rapport entre présent et passé, manifeste la conscience d’un décalage temporel qui pourrait dénoter une intention archaïsante. Dans le Panathénaïque, l’origine d’Athènes est traitée en même temps que la réflexion sur le meilleur point de départ d’un éloge de cette cité. Nous examinons l’entrée qu’Aristide choisit pour son éloge (un point de départ géographique qui fixe d’emblée l’histoire des Athéniens dans la permanence) et la présentation des origines de la cité (le propos d’Aristide exploite un double thème : les Athéniens naissent de la terre en étant citoyens / c’est en Attique que naît l’humanité). Lieu de naissance de l’homme et d’emblée dotée de son identité, Athènes est placée hors du temps, tout comme l’Attique, dans le discours, est chargée d’orienter l’espace. De l’image savamment élaborée d’une Athènes achronique, Aristide glisse à celle d’une Athènes organique : c’est le logos qui constitue son essence – et les paramètres temporels sont inopérants à en rendre compte. Peut-être est-ce pour Aristide une façon de dire que le sentiment de l’hellénisme est fondamentalement un dépassement de l’histoire.
Riassunto.– Per entrare nel Panhellenion, creato da Adriano ad Atene nel 131 o 132, diverse città dell’Oriente greco non esitarono ad fabbricarsi un passato greco e dei legami con le città famose dell’antica Grecia. Questo ci ha indotto a esaminare come i testi greci contemporanei concepivano le origini e l’antichità della stessa Atene. Che tipo di archè si può avere quando si è se stesso principio di civiltà ? Il nostro articolo è centrato sul discorso Panatenaico di Elio Aristide : in apparenza, l’oratore fonda il suo encomio della città contemporanea sulllo spessore della sua storia, e nel gioco con la relazione tra presente e passato, manifesta la coscienza di un divario nel tempo che potrebbe suggerire un’intenzione archaïzzante. Nel Panatenaico, l’origine di Atene viene trattata simultaneamente a una riflessione sul miglior punto di partenza per un encomio di questa città. Esamineremo che ingresso Aristide ha scelto per il suo encomio (un punto di partenza geografico che fissa dall’inizio la storia degli Atenesi nella permanenza) e come ha presentato le origini della città (Aristide sfrutta un doppio tema : gli Atenesi sono già cittadini quando nascono dalla terra / è nell’Attica che nasce l’umanità). Luogo dove nasce l’uomo e già dall’inizio dotata della sua identità, Atene è collocata fuori tempo, come l’Attica, nel discorso, è incaricata di orientare lo spazio. Dopo aver dottamente elaborato l’immagine di un’Atene acronica, Aristide ha slittato verso un’Atene organica di cui il logos costituisce l’essenza – ed i parametri temporali sono inoperanti per renderne conto. Sarà forse per Aristide un modo di dire che il sentimento dell’ellenismo è fondamentalmente un superamento della storia.
Nous examinons la présentation des premiers temps d’Athènes dans le Panathénaïque d’Aelius Aristide, éloge composé au iie siècle de notre ère par un auteur qui accepte et célèbre l’empire romain. Il ...s’agit manifestement pour Aristide de faire coexister deux modèles de domination. Empruntant des éléments aussi bien au dispositif d’analyse de l’« Archéologie » de Thucydide qu’à l’image de l’Athènes primitive donnée par le préambule du Timée et par le Critias, Aristide élabore une séquence logique d’actes fondateurs, chargée à la fois de modéliser la forme parfaite d’exercice du pouvoir et de soustraire Athènes à tout processus d’évolution historique. C’est à Rome qu’il revient d’historiciser les valeurs grecques et d’intégrer Athènes dans la chronologie de l’histoire du monde.
When Dionysius describes an urbanized world he makes no mention of Athens. He only alludes to Orithyia's abduction by Boreus on the banks of the Ilisus (1. 423-425). It seems in fact that D. pushes ...the tendency of geographical texts to evade the description of the city. However he replaces naming Athens with substitutes that give rise to several interpretations : first of all Boreus's presence refers to the Argonauts' expedition and thereby places Athens within the frame of epic travel location ; the memory of the Athenians' victory at Cape Artemision is triggered via Pausanias and Herodotus ; lastly and most importantly these lines echo the opening lines of Plato's Phaedra , a dialogue that questions the use of mythical narrative. Thus, through the replacing of Athens by a literary locus the poet encourages the reader to take his literary practices into account.
Denys, décrit un monde urbanisé, mais ne fait nulle mention d’Athènes. Il est seulement fait allusion à l’enlèvement d’Orithyie par Borée sur les bords de l’Ilissos (v. 423-425). Il s’inscrit dans une tendance qu’ont les textes géographiques à éluder la description de cette cité. Il substitue un autre propos qui suscite plusieurs interprétations : la présence de Borée renvoie à l’expédition des Argonautes et inscrit Athènes dans la géographie du voyage épique ; ensuite, par le biais de Pausanias puis d’Hérodote, le lecteur se rappelle la victoire des Athéniens à l’Artémision ; enfin et surtout, ces vers font écho à l’ouverture du Phèdre de Platon dialogue qui s’interroge sur l’utilisation du récit mythique. En remplaçant le paysage d’Athènes par un locus littéraire, le poète invite à considérer ses pratiques littéraires.
Aelius Aristides Oudot, Estelle
The Oxford Handbook to the Second Sophistic,
12/2017
Book Chapter
This chapter discusses how, despite himself, Aelius Aristides corresponds in many ways to the typical portrait of the sophist. It examines how his personality was both emblematic (practicing ...epideictic and deliberative eloquence as a counselor, declaimer, and formal speaker) and idiosyncratic: a man who lived in symbiosis with a god, Asclepius, in whom he found both a doctor and a mentor in rhetoric, and who refused to take on civic responsibilities, preferring reclusion to society, yet who also was occupied with promoting language and rhetoric among his contemporaries, and defined himself as the incarnation of the ideal orator in his century. Aristides holds a vital place in literature of the imperial period: his work gives evidence of a real creative process and offers a new vision of the world, where cultural Athens, Roman domination, and the urban world of contemporary Greece and Asia Minor subtly interfere in a new way.