La plupart des études d’histoire de la philosophie ayant pris pour thème la reconnaissance ont porté sur une séquence historique qui commence avec Fichte et Hegel. Mais qu’en est-il de la ...problématique de la construction ou de la confirmation de l’image de soi par autrui avant les auteurs qui en ont fait un objet explicite de réflexion ou en ont proposé des modèles ? À une époque où le principe de la dignité égale de tous n’est pas encore institutionnalisé, peut-on – et en quels termes – poser la question d’une politique ou d’une éthique de la reconnaissance ? Telles sont les questions abordées par les études rassemblées dans ce volume. Une telle démarche archéologique avait jusqu’ici surtout été appliquée à Rousseau. Ce collectif inaugure une recherche de plus grande ampleur qui intéressera aussi bien les spécialistes des auteurs abordés que les étudiants et chercheurs travaillant sur les problématiques de la reconnaissance et soucieux de ressourcer leurs réflexions à ce sujet.
In this article, I offer a new interpretation for Rousseau’s surprisingly spare use of the phrase “general interest” in his works. My starting point is the very notion of interest in his political ...thought. For Rousseau, interest is not a matter of calculation but of experience; properly speaking, once we are in the state of society, there is nothing like an individual interest because all our interests are shared with somebody else. And our political interest (our sensitivity to society’s general disorders) is shared with all our fellow citizens. In this regard, I bring to light a clear antinomy between the “common interest” in Rousseau’s Social Contract and the “general interest” as conceptualized by the physiocrats a few years later. By “common interest” Rousseau means the material basis for the democratic formation of a general will (that is, a political will) among the citizens, whereas by “general interest” physiocrats mean the normative language in which a non-democratic political decision claims its legitimacy by appealing to reason.
Dans cet article, je reviens sur un constat bien connu, mais jamais parfaitement élucidé : Rousseau n’emploie que très exceptionnellement l’expression « intérêt général », à laquelle il préfère celle ...d’« intérêt commun ». Je m’efforce d’y apporter une explication nouvelle, en partant d’un réexamen du concept même d’« intérêt » dans son œuvre, auquel il faut prêter un sens assez différent de celui auquel la philosophie politique nous a accoutumés : l’intérêt ne saurait être individuel, il ne saurait s’identifier à l’« avantage », il ne saurait faire l’objet d’un « calcul ». À ce titre, il existe une véritable antinomie entre la notion d’intérêt commun chez Rousseau et celle d’intérêt général qui se formalise chez les physiocrates de façon quasi contemporaine. L’intérêt commun est la base de formation démocratique d’une volonté politiquement orientée, qui prend comme telle le nom de « volonté générale », là où l’intérêt général est le langage normatif dans lequel une décision politique non nécessairement démocratique cherche à fonder sa légitimité en raison.
Cette recherche a pour objet le lien conceptuel entre participation politique et lien social dans la théorie politique de Rousseau. Elle présente une réinterprétation de la volonté générale, ...considérée comme un concept descriptif avant d’être normatif, affectif avant d’être rationnel,attribuée aux membres du collectif avant de l’être à celui-ci. L’activité de la volonté générale mesure l’attachement des citoyens aux lois, dans la mesure où ils y voient le moyen de promouvoir leur propre intérêt, compte tenu du fait de la socialisation. La volonté générale des citoyens ne saurait toutefois se maintenir sans que ces derniers soient régulièrement amenés à contrôler les termes de leur association et à vérifier leur effectivité dans le cadre d’institutions spécifiques. L’exigence exorbitante de souveraineté populaire, identifiée à l’exercice direct du pouvoir législatif, est manifestement attenante à l’idéal de socialité juridique que Rousseau place au coeur de sa théorie politique. Cet idéal trouve une incarnation contrefactuelle dans les pratiques et demandes de la bourgeoisie de Genève, en particulier durant le premier tiers du XVIIIe siècle, auxquelles le Contrat Social donne un fondement théorique ex post facto. Plutôt que d’abstraire le Contrat Social de son contexte, croyant ainsi en étendre la portée, c’est de l’intérieur de celui-ci que s’éclaire son universalité. Nous montrons, en dialogue critique avec les philosophies de Rawls et de Habermas, qu’il soutient l’exigence d’une démocratie délibérative radicale.
This research focuses on the link between political participation and social bonds in Rousseau's political theory. We present a new interpretation of the concept of general will as relevant to individuals rather than the collective, focusing on its descriptive and emotionalrather than normative and rational dimensions. General will measures citizens' attachment to laws in so far as they see them as a means of promoting their own best interests as social beings.However, the general will of citizens could not be maintained if they did not regularly reassess the terms of their association and verify their effectiveness within specific institutions. The exorbitant demand for popular sovereignty, which is the direct exercise of legislative power, is rooted in the ideal of legal sociality at the heart of Rousseau’s political theory. This ideal finds counterfactual embodiment in the practices and demands of the Geneva bourgeoisie, to which the Social Contract gives a theoretical foundation ex post facto, especially during the first third of the eighteenth century. Rather than abstracting the Social Contract from its context in the hope of extending its scope, we argue that, paradoxically, its universality lies in this particular context. Through a dialogue with the theories of Rawls and Habermas, we show that the Social Contract supports the demand for a radical deliberative democracy.
De l'intérêt général Angaut, Jean-Christophe; Crétois, Pierre; Jacoud, Gilles ...
Astérion (Lyon),
11/2017
Journal Article
Peer reviewed
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La notion d’intérêt général est, aujourd’hui, autant un concept juridique qu’un topos rhétorique. Son usage, qui se généralise en France dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, est inséparable ...d’une ambiguïté constitutive : en effet, les débats autour de sa définition cristallisent, depuis l’époque des révolutions, les enjeux de la caractérisation moderne de l’État et de son droit. C’est pourquoi on ne peut s’étonner qu’elle ait été portée tant par des penseurs que l’on peut rattacher à la tradition libérale (Locke ou Hobbes, souvent associés aux prémisses du libéralisme), que par d’autres, davantage associés à la tradition égalitariste (Proudhon) ou républicaine (Rousseau, Léon Bourgeois). L’invocation de l’intérêt général correspond toujours à une prise de position particulière dans le champ politico-philosophique. Les articles du présent dossier s’efforcent de montrer que chacune des conceptualisations fortes de l’intérêt général, y compris critiques, implique une conception de l’homme et de ses droits, ainsi qu’un projet de société. Nowadays, the notion of public interest is a juridical concept as well as a rhetorical topos. Its use, which been widespread in France in the second half of the eighteenth century, is inseparable from a constitutive ambiguity: the debates about its definition crystallize, from the time of the revolutions, the stakes of the modern characterization of the State and its right. Thus it is not surprising that this notion was carried by thinkers who can be linked to the liberal tradition (Locke or Hobbes, often associated with the premises of liberalism), and by others, closer from the egalitarian (Proudhon) or republican (Rousseau, Léon Bourgeois) tradition. The reference to the public interest always corresponds to a particular position in the politico-philosophical field. The contributions of this issue aim to demonstrate that every conceptualizations of the public interest, including critical ones, implie a conception of man and his rights, as well as a social project.
La plupart des études d’histoire de la philosophie ayant pris pour thème la reconnaissance ont porté sur une séquence historique qui commence avec Fichte et Hegel. Mais qu’en est-il de la ...problématique de la construction ou de la confirmation de l’image de soi par autrui avant les auteurs qui en ont fait un objet explicite de réflexion ou en ont proposé des modèles ? À une époque où le principe de la dignité égale de tous n’est pas encore institutionnalisé, peut-on – et en quels termes – poser la question d’une politique ou d’une éthique de la reconnaissance ? Telles sont les questions abordées par les études rassemblées dans ce volume. Une telle démarche archéologique avait jusqu’ici surtout été appliquée à Rousseau. Ce collectif inaugure une recherche de plus grande ampleur qui intéressera aussi bien les spécialistes des auteurs abordés que les étudiants et chercheurs travaillant sur les problématiques de la reconnaissance et soucieux de ressourcer leurs réflexions à ce sujet.
La référence à Rousseau est au cœur de deux études contemporaines majeures sur la reconnaissance. Axel Honneth a inauguré la relecture de son œuvre sous l’angle d’une théorie critique de la ...reconnaissance : Rousseau, en se situant du côté d’une norme naturelle d’autoréalisation (l’amour de soi), aurait le premier procédé à une évaluation critique des formes de vie mutilées dont la société de son temps était porteuse. L’amour-propre vient alors désigner la pathologie sociale consistant à ne pl...
Introduction Renault, Emmanuel; Mourgues, Théophile Pénigaud de; Toto, Francesco
12/2017
Book Chapter
Open access
Sous l’apparente unité du mot « reconnaissance » se cache tout un univers de significations dont on doit tenir compte dès lors qu’on en fait l’objet d’une réflexion explicite. En français, par ...exemple, on peut parler de reconnaissance au sens de la recognition, comme lorsqu’on demande à quelqu’un s’il nous a reconnu ; au sens de la gratitude, comme lorsqu’on exprime notre reconnaissance envers ce qui a été fait pour nous ; au sens d’admettre que quelque chose a eu lieu ou d’avouer une faute, ...
« Je me croyais grec ou romain » écrit Rousseau de son enfance genevoise, durant laquelle le patriotisme de son père, son statut privilégié de citoyen et ses lectures de Plutarque se confondent en ...une même exaltation pour la vertu antique. La pensée politique de Rousseau semble ainsi pétrie de références à une Antiquité exemplaire et fantasmée – à Sparte, tout particulièrement. Elle s’est à ce titre régulièrement vu reprocher son anachronisme. Benjamin Constant, de façon célèbre, accuse Rouss...